Apostillas para una obra invisible

objet esthétique qui, n’étant pas moins réel par le fait d’être déréa-lisé, semble avoir à faire avec ce que Lacan 31 a proposé de caractériser comme cause du désir : l’objet a. En effet, on a bien pu remarquer que les différents travaux artistiques poussaient les spectateurs à se questionner, à se troubler, à vouloir changer ou parfaire l’œuvre... Autrement dit, les travaux semblent avoir impliqué un objet esthé- tique qui, se glissant au lieu évidé par la dialectique des images, était en position de causer le désir. Pour Lacan, l’art se trouverait fondamentalement concerné par l’ob- jet a, qui trouve précisément sa place au lieu d’un vide. En 1959 32 , il su-ggère que toute production artistique se caractériserait de s’or- ganiser autour du vide laissé par la Chose lors de l’éloignement du champ de la jouissance par l’effet du signifiant. Dix ans après 33 , il reprend cette idée et la prolonge par l’indication que, dans chaque œuvre d’art, l’objet a serait convoqué come ce qui, de l’intérieur, cha- touille la Chose évidée de la jouissance. Mais cette formulation ne accentue l’articulation de l’objet a dans l’art que sur le seul plan de la jouissance, en remarquant que, dans l’œuvre, le plus-de-jouir convoque la jouissance sous la forme de son vide. Sur ce point, Lacan paraît suivre de près les indications freudiennes sur la technique de dépassement du refoulement qui gît au fondement de toute ars poetica véritable. D’après Freud 34 , les créa- tions artistiques offrent un plaisir préliminaire ( Vorlust ) qui permet de surmonter le refoulement pour rendre possible la libération d’une jouissance ( Genuβ ) touchant le fondement pulsionnel de chaque œuvre. Pourtant, ces considérations n’impliquent pas l’objet a sur le seul régistre de la jouissance, mais tout aussi bien sur celui du désir: si la Genuβ artistique constitue bien un plus-de-jouir, alors le Vorlust de l’œuvre n’est rien d’autre que cause du désir. Ainsi, la dématérialisation serait la condition d’un art hanté par l’ob- jet a qui, n’étant lui même que le débris d’une perte, parvient à une place évidée entre les images, au moyen des images, contre les im- ages. Mais si tel est le cas, alors la dématérialisation ne saurait être uniquement l’affaire de l’art dématérialisé des quarante dernières années. Comme Wajman 35 le montre, les travaux de Duchamp et

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