Apostillas para una obra invisible
enfoncée dans l’invisible. Ce reversement du destin des images produit un éloignement en- tre l’objet esthétique et l’objet d’art. Dans la mesure où l’image est remportée à une autre image qui, par le redoublement, est en même temps présente et élidée, l’objet esthétique ne peut jamais coïncider avec les images qui le convoquent. La tension maintenue entre l’ima- ge première et l’image modifiée implique que l’objet ne risque pas d’être désigné dans l’une des images, car il est entre les images. Il est suffisamment clair que l’objet n’est ni Klein ni son absence, mais qu’il gît déréalisé dans l’intervalle, dans la fente. Certes, il ne s’agit pas d’un objet proprement visuel, mais il n’est pas pour autant moins scopique dans la mesure où il se trouve concerné par cet élément pleinement optique qui, si condensé, si glissant, demeure dans le vertige des images pour s’emparer de nous et nous entraîner dans le tourbillon de leur mise en abyme. * * * Le travail examiné semble bien indiquer que la dématérialisation im- plique, toutes ensembles et dans une étroite collaboration, les trois dimensions que, concernant les techniques, les images et l’objet, nous avons pu saisir avec Lippard, Masotta et Lissitzky. Dans chacune des œuvres, la dématérialisation s’avère intimement liée à l’acte qui, par des techniques rendues favorables grâce à des pratiques artistiques précises, remanie le destin des images pour introduire un partage du sensible où s’ouvre un écart qui laisse la place à l’irruption d’un ob- jet proprement scopique , mais foncièrement déréalisé car fermement irréductible aux images entre lesquelles, pourtant, il se profile. L’art dématérialisé paraît donc être largement traversé par une mise en tension dialectique où se perpetue l’hétérogéneité promue par les oppositions entre les images, de chaque image avec elle-même et des images avec l’objet. En ce sens, la dématérialisation dans l’art semble bien rendre compte de la dialectique du visuel que, dérivée de l’ im- age dialectique benjaminienne, George Didi-Huberman caractérise comme étant au fondement de l’ image critique : « une image en crise, une image critiquant l’image –capable, donc, d’un effet, d’une effi-
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