Apostillas para una obra invisible

densée. Il s’agit d’une intervention digitale de la célèbre photographie d’Yves Klein Saut dans le vide : le photomontage où l’on voit Klein en train de sauter du mur pour s’élancer vers le pavé de la rue. Autre- ment dit, il est question d’un nouveau photomontage qui intervient sur le photomontage initial pour enlever le personnage de Klein et restituer la première photographie dégagée des trucages. En ce sens, Cariceo libère la photographie originaire (la rue avec la femme en vélo) de l’altération (Klein) introduite par une procédure hétérogène (le photomontage) au moyen d’une technique (l’intervention digi- tale) qui, doublement hétérogène (et à la photo et au photomontage), ne peut effacer l’altération sans y introduire sa propre falsification. Redoublement, donc, d’un procédé qui, loin de restituer une origi- ne immaculée, laisse l’original tout aussi affecté de la trace invisible d’une modification visant à rendre invisible. Mais ce redoublement s’avère encore lui-même redoublé dans la mesure où l’intervention porte sur le travail d’un artiste hanté par l’invisible, le vide et l’immatériel. En fait, le photomontage de Klein constitue une déclaration où l’artiste se désigne comme étant cata- pulté dans le vide pour se mettre à la place restée invisible dans la photographie initiale. Ainsi, Cariceo serait en train de radicaliser le projet d’invisibilité de Klein, en rendant invisible l’artiste lui-même: lorsqu’il enlève Klein, il prolonge son photomontage, car si Klein se livre à l’invisible en parvenant à la place qui, sans lui, serait restée vide dans la photographie, alors l’artiste n’arrive véritablement au point de l’invisible qu’au moment où Cariceo laisse inoccupée la place prise par Klein. L’intervention digitale de Cariceo efface une image, mais ce n’est pas pour autant une véritable disparition de l’image. Tout au contraire, l’image est rendue encore plus sensible par son élision. L’invisibilité s’avère ici promue à une certaine forme du visible, en inscrivant un destin des images qui remanie le partage du sensible. Cariceo ne s’en tient pas au simple détournement de l’image, mais il retourne l’image contre elle-même pour la décomposer dans une recomposition qui la fait résider dans une altérité à elle-même. Par un redoublement de procédés doublement hétérogènes, l’artiste opère une dématé- rialisation qui n’abandonne pas le visible, même si l’image se trouve

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